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Développement et éducation

Christine BRISSET - Enseignante en sciences humaines (psychologie et éducation) - Rédactrice et expertise d'articles - Maître de conférences en psychologie et qualifiée en sciences de l'éducation.

Le ligueur : "Ce qui se joue dans la cour de récréation"

Publié le 28 Janvier 2014 par Christine BRISSET

"Ce qui se joue dans la cour de récréation"

Publié le 6 Mars 2013

Moment de répit, soupape de décompression : la récréation n’est pas dénuée d’enjeux éducatifs, loin s’en faut. Dans la cour, sur un mode ludique, s’acquièrent des compétences motrices, cognitives et sociales. À condition que cette plage de liberté soit suffisamment encadrée par les adultes, avec des règles explicites et sécurisantes, comme l’explique Christine Brisset, maître de conférences à l’Université Picardie-Jules Verne, à Amiens.

Shutterstock

Le Ligueur : Qu’est-ce qui se joue pendant la récréation ?
Christine Brisset :
« La récréation est conçue avant tout pour permettre à l’enfant de souffler, de se reposer, pour ensuite pouvoir recommencer à travailler dans de meilleures conditions, avec une plus grande attention. Je prendrai l’image de la cocotte-minute : on enlève la soupape pour faire sortir l’air et pouvoir reprendre la cuisson de façon plus efficace. Mais, paradoxalement, la cour de récréation est aussi le lieu de nombreux apprentissages. On y développe la motricité globale, en courant, en grimpant, en lançant un ballon. On y acquiert aussi la motricité fine, par exemple grâce aux jeux de billes. La récré est aussi l’occasion d’utiliser et d’améliorer ses compétences cognitives. On compte en jouant à la balle. On chante, on se dit des comptines. Souvent, aussi, les jeux mobilisent la notion de stratégie. Enfin, évidemment, la cour est aussi le lieu du développement social. C’est le lieu où se construit, notamment par l’intermédiaire du jeu, le vivre ensemble : comment on s’intègre dans un groupe, comment on se situe par rapport aux autres, comment on gère les conflits… On peut acquérir les bases de la citoyenneté en coopérant avec les copains et en tenant compte de l’avis des autres. Placés sous le regard du groupe, les enfants apprennent également la maîtrise de soi (accepter de perdre, attendre qu’arrive son tour, etc.), ils comprennent qu’il faut respecter les règles du jeu et contrôler ses émotions. »

L. L. : En tant que parent, on peut avoir le sentiment que la libération des pulsions contenues durant la classe fait de la cour de récréation le théâtre de nombreux conflits. Est-ce inexact ?
C. B.
: « Les parents manifestent souvent, en effet, une inquiétude vis-à-vis de ce moment particulier de la vie scolaire, car leurs enfants leur rapportent bien des faits négatifs, des disputes, des coups de pied reçus, des bagarres… Il n’y a pas lieu de dramatiser : la récré est aussi riche en échanges et permet aux amitiés de se nouer. Il n’empêche, il peut survenir des événements qui sont source de souffrance pour l’enfant. Quand on interroge des petits de 4 ou 5 ans, notamment des garçons, on s’aperçoit qu’ils se regroupent souvent sur le modèle des ‘bandes’ : il y a celle de Julien, celle de Dylan… Ces bandes se bagarrent régulièrement. Parfois pour de vrai : pour régler un conflit, parce qu’Untel n’a pas voulu prêter son jouet à tel autre. Le plus souvent pour de faux. Mais si l’on n’y prend garde, les plus forts sont susceptibles d’imposer leur loi aux autres enfants. »

La cour de récré, entre cadre et liberté

L. L. : Comment éviter cette violence ?
C. B. : « J’ai mené dans une école une expérience visant à canaliser cette violence. J’ai pris des photos des enfants se chamaillant dans la cour de récréation. Puis, sur la base de ces images, les enseignants ont, dans la salle de motricité, demandé à leurs élèves de rejouer certaines scènes. Dans l’une d’elles, deux enfants se disputaient une trottinette. Tous ensemble, on s’est demandé comment faire pour éviter de se battre pour un même objet, on a réfléchi ensemble aux règles à adopter. »

L. L. : Les parents peuvent parfois avoir l’impression que leurs enfants ne sont pas suffisamment encadrés durant la récréation. Quel doit être le rôle de l’équipe éducative durant la pause ?
C. B. : « La cour constitue un espace de liberté et non une classe. Pour autant, il est indispensable qu’il y ait suffisamment d’adultes pour que la récréation se passe le mieux possible, sans accident. C’est d’autant plus essentiel qu’après les cours, l’énergie est à son comble. Les enfants sont excités, énervés et éprouvent le besoin de se défouler. Cette exigence de surveillance doit être adaptée à la configuration des lieux : aucun recoin ne doit échapper à la vigilance des adultes. »

L. L. : L’enfant perçoit-il un éventuel défaut de surveillance de façon anxiogène ?
C. B. : « Oui, tout à fait. En psychologie, on parle de contenance. L’enfant doit se sentir ‘contenu’ par la présence de l’adulte, par l’aménagement de la cour, par l’énoncé de règles claires, avec des jeux autorisés, et d’autres qui ne le sont pas. C’est à ce prix que l’enfant se sent en sécurité et peut jouer à sa guise. À défaut, certains élèves, parce qu’ils sont jeunes, particulièrement timides ou parce qu’ils présentent des anxiétés, appréhendent le moment de la pause. Ils se sentent en danger et se tiennent près des adultes pendant toute la récré. Celle-ci ne leur permet donc pas de souffler, et ensuite reprendre les apprentissages avec toute l’énergie et toute la disponibilité d’esprit nécessaires. C’est extrêmement problématique. L’adulte qui surveille la récréation a deux missions : d’une part, il doit avoir une action préventive, fixer les règles de façon explicite ; d’autre part, il doit intervenir en cas d’incident, aider l’enfant qui agit mal à comprendre la portée de son geste et l’amener à s’excuser auprès de ses camarades. »

L. L. : Est-il préférable d’aménager la cour avec de nombreux toboggans et balançoires ? Ou bien l’absence de jeux est-elle utile pour stimuler l’imagination, l’inventivité des enfants ?
C. B. :
« Trop de jeu tue le jeu. Autrement dit, plus les élèves ont accès à des jeux matériels, moins ils développent la part symbolique du jeu. Il est rare, par exemple, que les enfants, sur un toboggan, soient occupés à autre chose qu’à glisser. Tout est dans le juste équilibre : une bonne cour de récréation comporte des aménagements de type toboggan, des inscriptions au sol pour la marelle, des bancs pour discuter, une petite maison où se raconter des histoires du foyer qu’on a quitté le matin. Idéalement, on y trouvera aussi des objets-jeux, comme des trottinettes, avec des règles précises d’utilisation pour éviter la multiplication des disputes. Mais il doit aussi y avoir des espaces nus, que les enfants s’approprient pour leurs propres jeux et qui seront investis de façon symbolique, y compris pour faciliter la gestion des conflits. »

Les filles d’un côté, les garçons de l’autre

L. L. : Les jeux de la récré ont-ils évolué ?
C. B. : « Certains jeux, comme la marelle, la corde à sauter ou les billes, ont traversé les siècles. Il suffit pour s’en convaincre de regarder de vieux tableaux, comme ceux de Bruegel. Il existe aussi des jeux plus récents, comme les collections de vignettes ou de cartes type Pokémon. Ceux qui sont aujourd’hui parents ont généralement connu ces pratiques lorsqu’ils allaient à l’école. Mais le phénomène prend parfois une grande ampleur, au point de donner lieu à une sorte de racket… Je suis également surprise par la place que prend, dans certains cas dès la maternelle, la télévision : on s’identifie à tel ou tel personnage, on rejoue ce qu’on a regardé la veille. On se rend compte, au passage, que beaucoup d’enfants ont désormais un téléviseur dans leur chambre. Et que nombreux sont capables de parler d’émissions pourtant programmées très tardivement. Cela pose des questions quant à la qualité de leur sommeil. Cela interroge aussi sur la violence que ces programmes sont susceptibles de générer… Il y a enfin les jeux dangereux, comme celui de la tomate (qui consiste à retenir la respiration). Apparus il y a une dizaine d’années, ils se pratiquent le plus souvent en cachette, à l’abri du regard des adultes. Pour éviter les drames, il faut informer les parents et faire en sorte qu’ils mettent en garde leurs enfants sur les dangers encourus. »

L. L. : Garçons et filles jouent-ils de la même manière dans la cour de récréation ?
C. B. :
« Garçons et filles continuent, dans une large mesure, de jouer de façon différente. Même en maternelle, de manière assez surprenante, on se regroupe souvent pour jouer entre enfants de même sexe. Et avec l’âge, la différenciation se creuse : les filles privilégient les petits espaces, jouent à la marelle, à la corde, passent de longs moments à discuter ensemble. Les garçons, eux, ont besoin de plus de place, ils privilégient les jeux de ballon, vont vouloir matérialiser les cages. Au fond, les représentations de la société ont beau avoir évolué au cours des dernières décennies, les pratiques des enfants n’ont guère changé. »

Propos recueillis par Joanna Peiron

https://www.laligue.be/appz-dev/lig/ligueur/ligueur_article.php?ID=470479&app=lig/ligueur/

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